Published On: 08/08/20205.6 min read

Tous ses voisins l’appellent « El profe » (le prof). Quand la sécheresse réduit à néant le labeur des paysans de la côte Caraïbe, en Colombie, l’irréductible Victor Olivare parvient à faire pousser ses fruits et légumes. Son secret : un amour sans faille pour la terre.

Victor a 50 ans, la démarche assurée et un sourire accroché à son visage mat. « Je fais attention à ma santé, je fais tout pour rester jeune », s’amuse-t-il. Cela se passe sur son terrain de jeu favori : une parcelle de terre bien organisée où il cultive, avec l’amour du travail bien fait, toutes sortes de légumes et des arbres fruitiers.

Vacciné contre les produits chimiques

Au milieu des plantations de yucca (le manioc sud-américain), près de son village, Los Limites, Victor raconte sa passion pour la nature et l’agriculture. « Dès mes 12 ans, j’aidais mon père aux champs après l’école. Il travaillait dans une grosse ferme qui utilisait des tas de produits chimiques pour traiter les plantations », se souvient le cinquantenaire, une grimace au bord des lèvres. Si c’est à ce moment-là que Victor devient amoureux de la terre, il réalise aujourd’hui à quel point son père a pu souffrir de l’utilisation de substances « très toxiques » comme l’insecticide Lorsban. « Je les vois les vieux paysans, ils sont tous en mauvaise santé. Moi je me sens parfaitement bien. » 

L’accès à la terre réservé aux riches

A 18 ans, Victor commence à travailler comme agriculteur à la ferme Ceibal, à une quarante kilomètres de Carthagène. Comme la grande majorité des paysans sans terre en Colombie, le jeune homme fait ses premiers pas dans un système ancestral aux mains de richissimes propriétaires. Le principe : « Les propriétaires des fermes prêtent leurs parcelles de terre aux paysans dans le but de faire entretenir le terrain pendant quelques années avant de revendre la ferme à un prix d’or, explique Jean-Matthieu Thévenot, volontaire à la ferme Ceibal pour l’association française Envol Vert. Ils se fichent de ce qui pousse sur leur terrain, c’est juste un investissement pour eux, comme une banque. »

Pendant deux ans, les paysans cultivent ce qu’ils veulent, très souvent du maïs et de la yucca, avant de brûler la terre pour la laisser « propre », technique classique utilisée en agriculture conventionnelle. Un autre paysan occupe alors cette parcelle à son tour.

La ferme de 3000 hectares où travaille Victor est l’une des 40 que possède le propriétaire, riche héritier d’une famille ayant fait carrière dans l’émeraude. « Sur toute la superficie de la côte Caraïbe, il n’existe qu’une vingtaine de propriétaires de terres agricoles. Ça donne une idée de la répartition des richesses en Colombie… » accuse Jean-Matthieu.

Changer les mentalités 

Muni de sa longue machette, Victor courbe le dos pour couper les mauvaises herbes qui se répandent sur son terrain. Mais il ne souffre pas, galvanisé par un travail dont il se dit « fier ». « Je me sens en lien avec la nature, je lui dois beaucoup, il faut la respecter », s’enquit l’homme, convaincu depuis toujours par l’agriculture biologique. « Dès le départ, j’ai refusé de brûler la terre et m’obstinais à faire du bio. Ça en étonnait plus d’un. Les autres paysans du coin ne travaillaient pas comme ça, ils ne comprenaient pas. » Aujourd’hui encore, Victor se désole des comportements « agressifs » de certains paysans quand il tente de changer leurs habitudes. A savoir ne pas brûler les mauvaises herbes et couper les arbres mais tout laisser s’épanouir pour créer un environnement naturel qui favorise les rendements agricoles.

L’association Envol Vert tente de relever le défi du changement, pas à pas. Sur une durée de huit ans et non pas deux comme l’imposent d’ordinaire les propriétaires, Victor et treize autres paysans, venant en majorité de Los Limites, travaillent sur de petites parcelles de la ferme Ceibal où ils cultivent leurs fruits et légumes entre des rangées d’arbres financées par Envol Vert. L’association mise beaucoup sur le Guaimaro (noyer maya), un arbre qui aide à fertiliser les sols et donne des fruits très bons pour l’homme comme pour le bétail.

Un pacte avec la nature

Victor, qui a planté des dizaines d’arbres sur son terrain depuis deux ans, est un des fervents défenseurs de ce projet. « Il dit qu’il a signé un pacte avec la nature », sourit Jean-Matthieu, impressionné par les connaissances du paysan. C’est aussi un moyen pour lui de se sentir plus respecté dans son métier. « Les paysans ne sont pas fort économiquement dans ce pays. En fabriquant des produits de qualité, sur une plus longue durée et en organisant la vente en coopérative, on s’enrichit et on devient plus fort. »

Victor au milieu de ses plantations de yucca (© Jérôme Decoster).
Victor au milieu de ses plantations de maïs (© Jérôme Decoster).

Victor sourit timidement et a le regard fuyant quand on lui demande pourquoi les quelque 250 habitants de son village le surnomment « El profe ». « Je ne sais pas », répond le seul qui a réussi à faire pousser tous ses légumes l’année dernière, en dépit d’une sécheresse dévastatrice. « Il nous donne des conseils pour nous améliorer, cultive des plantes médicinales pour soigner les villageois s’ils lui demandent et  essaie de transmettre l’amour de la terre aux plus jeunes », détaille Lediz, la seule paysanne participant au projet d’Envol Vert.

« Ce que mangent les ministres, c’est grâce à nous »

Parfois, les jeunes du village viennent rendre visite à Victor sur sa parcelle. « J’espère qu’il deviendront paysans à leur tour. Je leur dit que c’est un travail respectable, que ce que mangent les ministres, c’est grâce à nous », plaisante-t-il. Victor ne pourra jamais devenir propriétaire de la parcelle sur laquelle il travaille. «Tout est privé ici, c’est impossible ». Et hors de prix. Victor évalue le coût des 800 m²  de terrain à environ 15 millions de pesos (8 600 euros). Alors il se contente de rêver un peu. « Si je pouvais, je baptiserais mon terrain « Parcela del señor Victor agrofestal » ».

Aurélie Bacheley

Article de Libre Enquête http://libres-en-quete.com/victor-lagriculteur-prophete-en-son-village/

Article à retrouver sur le Huffington Post

Tous ses voisins l’appellent « El profe » (le prof). Quand la sécheresse réduit à néant le labeur des paysans de la côte Caraïbe, en Colombie, l’irréductible Victor Olivare parvient à faire pousser ses fruits et légumes. Son secret : un amour sans faille pour la terre.

Victor a 50 ans, la démarche assurée et un sourire accroché à son visage mat. « Je fais attention à ma santé, je fais tout pour rester jeune », s’amuse-t-il. Cela se passe sur son terrain de jeu favori : une parcelle de terre bien organisée où il cultive, avec l’amour du travail bien fait, toutes sortes de légumes et des arbres fruitiers.

Vacciné contre les produits chimiques

Au milieu des plantations de yucca (le manioc sud-américain), près de son village, Los Limites, Victor raconte sa passion pour la nature et l’agriculture. « Dès mes 12 ans, j’aidais mon père aux champs après l’école. Il travaillait dans une grosse ferme qui utilisait des tas de produits chimiques pour traiter les plantations », se souvient le cinquantenaire, une grimace au bord des lèvres. Si c’est à ce moment-là que Victor devient amoureux de la terre, il réalise aujourd’hui à quel point son père a pu souffrir de l’utilisation de substances « très toxiques » comme l’insecticide Lorsban. « Je les vois les vieux paysans, ils sont tous en mauvaise santé. Moi je me sens parfaitement bien. » 

L’accès à la terre réservé aux riches

A 18 ans, Victor commence à travailler comme agriculteur à la ferme Ceibal, à une quarante kilomètres de Carthagène. Comme la grande majorité des paysans sans terre en Colombie, le jeune homme fait ses premiers pas dans un système ancestral aux mains de richissimes propriétaires. Le principe : « Les propriétaires des fermes prêtent leurs parcelles de terre aux paysans dans le but de faire entretenir le terrain pendant quelques années avant de revendre la ferme à un prix d’or, explique Jean-Matthieu Thévenot, volontaire à la ferme Ceibal pour l’association française Envol Vert. Ils se fichent de ce qui pousse sur leur terrain, c’est juste un investissement pour eux, comme une banque. »

Pendant deux ans, les paysans cultivent ce qu’ils veulent, très souvent du maïs et de la yucca, avant de brûler la terre pour la laisser « propre », technique classique utilisée en agriculture conventionnelle. Un autre paysan occupe alors cette parcelle à son tour.

La ferme de 3000 hectares où travaille Victor est l’une des 40 que possède le propriétaire, riche héritier d’une famille ayant fait carrière dans l’émeraude. « Sur toute la superficie de la côte Caraïbe, il n’existe qu’une vingtaine de propriétaires de terres agricoles. Ça donne une idée de la répartition des richesses en Colombie… » accuse Jean-Matthieu.

Changer les mentalités 

Muni de sa longue machette, Victor courbe le dos pour couper les mauvaises herbes qui se répandent sur son terrain. Mais il ne souffre pas, galvanisé par un travail dont il se dit « fier ». « Je me sens en lien avec la nature, je lui dois beaucoup, il faut la respecter », s’enquit l’homme, convaincu depuis toujours par l’agriculture biologique. « Dès le départ, j’ai refusé de brûler la terre et m’obstinais à faire du bio. Ça en étonnait plus d’un. Les autres paysans du coin ne travaillaient pas comme ça, ils ne comprenaient pas. » Aujourd’hui encore, Victor se désole des comportements « agressifs » de certains paysans quand il tente de changer leurs habitudes. A savoir ne pas brûler les mauvaises herbes et couper les arbres mais tout laisser s’épanouir pour créer un environnement naturel qui favorise les rendements agricoles.

L’association Envol Vert tente de relever le défi du changement, pas à pas. Sur une durée de huit ans et non pas deux comme l’imposent d’ordinaire les propriétaires, Victor et treize autres paysans, venant en majorité de Los Limites, travaillent sur de petites parcelles de la ferme Ceibal où ils cultivent leurs fruits et légumes entre des rangées d’arbres financées par Envol Vert. L’association mise beaucoup sur le Guaimaro (noyer maya), un arbre qui aide à fertiliser les sols et donne des fruits très bons pour l’homme comme pour le bétail.

Un pacte avec la nature

Victor, qui a planté des dizaines d’arbres sur son terrain depuis deux ans, est un des fervents défenseurs de ce projet. « Il dit qu’il a signé un pacte avec la nature », sourit Jean-Matthieu, impressionné par les connaissances du paysan. C’est aussi un moyen pour lui de se sentir plus respecté dans son métier. « Les paysans ne sont pas fort économiquement dans ce pays. En fabriquant des produits de qualité, sur une plus longue durée et en organisant la vente en coopérative, on s’enrichit et on devient plus fort. »

Victor au milieu de ses plantations de yucca (© Jérôme Decoster).
Victor au milieu de ses plantations de maïs (© Jérôme Decoster).

Victor sourit timidement et a le regard fuyant quand on lui demande pourquoi les quelque 250 habitants de son village le surnomment « El profe ». « Je ne sais pas », répond le seul qui a réussi à faire pousser tous ses légumes l’année dernière, en dépit d’une sécheresse dévastatrice. « Il nous donne des conseils pour nous améliorer, cultive des plantes médicinales pour soigner les villageois s’ils lui demandent et  essaie de transmettre l’amour de la terre aux plus jeunes », détaille Lediz, la seule paysanne participant au projet d’Envol Vert.

« Ce que mangent les ministres, c’est grâce à nous »

Parfois, les jeunes du village viennent rendre visite à Victor sur sa parcelle. « J’espère qu’il deviendront paysans à leur tour. Je leur dit que c’est un travail respectable, que ce que mangent les ministres, c’est grâce à nous », plaisante-t-il. Victor ne pourra jamais devenir propriétaire de la parcelle sur laquelle il travaille. «Tout est privé ici, c’est impossible ». Et hors de prix. Victor évalue le coût des 800 m²  de terrain à environ 15 millions de pesos (8 600 euros). Alors il se contente de rêver un peu. « Si je pouvais, je baptiserais mon terrain « Parcela del señor Victor agrofestal » ».

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