Published On: 28/11/201520.5 min read

Brandie bien malgré elle comme un symbole de virginité et d’abondance, l’Amazonie a même été affublée de la lourde responsabilité de “poumon de la planète”. A l’approche du grand sommet sur le climat, la COP 21, une petite mise au point s’impose sur la plus grande forêt tropicale du monde. Découvrez cet article publié sur le site du Troisième Baobab.

1541 : la découverte de l’Amazonie

Une expédition espagnole ordonnée par les frères Pizarro descend le cours d’un grand fleuve depuis la Cordillère des Andes au Pérou jusqu’à l’océan Atlantique à la recherche d’une épice aussi précieuse que l’or : la cannelle. Menés par Francisco de Orellana, les Conquistadors ne trouvent pas de cannelle mais découvrent une forêt gigantesque, peuplée de créatures inconnues, de plantes exotiques et d’êtres qui sont très vite associés aux guerrières Amazones, filles d’Arès et de la nymphe Harmonie dont parlent les poèmes d’Homère. Les Conquistadors situent là ce royaume mythique dont le monde occidental rêve depuis l’Antiquité, dans cet espace amphibie où l’exubérance végétale et animale fascine autant qu’elle inquiète. Bien plus encore, le récit de l’expédition rédigé par Gaspar de Carvajal décrit un rituel des plus étranges durant lequel un Roi Indien se baignerait dans le lac Parimé pour en ressortir couvert d’or… La légende de l’El Dorado prend forme. Par la suite, cette forêt aux contours incertains est baptisée du nom du mythe qu’elle évoque.

Ainsi est découverte la plus grande forêt tropicale du monde. Aux yeux de l’Europe, l’Amazonie « naît » mythique. La densité de la végétation, ainsi que les conditions climatiques, empêche cependant son intégration aux territoires colonisés des Empires européens qui se mettent en place sur le continent aux XVIème et XVIIème siècle, puis aux Etats indépendants par la suite. Pendant les quatre siècles qui suivent sa découverte, l’Amazonie reste ce « non-être géographique », ce blanc de la carte marginalisé, alors qu’elle est au cœur du continent. Mais combien d’expéditions de missionnaires, de commerçants, de soldats, tentent de percer ses secrets, alimentant les fantasmes et consolidant les mythes émergents ? La forêt est une promesse de richesses inépuisables et de glorieuses conquêtes. Et les histoires rapportées par ces explorateurs fécondent l’imaginaire des Européens, finissant par façonner une Amazonie tantôt « Paradis Perdu », tantôt « Enfer Vert ».

Certes, la forêt amazonienne a toujours suscité de nombreux mythes, des cosmologies indiennes aux légendes du monde occidental, du mythe de la forêt vierge inhabitée au fameux mirage moderne du « poumon de la planète ». Autant de fantasmes qui, en figeant l’image de la forêt dans les esprits, attisent les convoitises et cristallisent les enjeux autour de son avenir. Et, paradoxalement, en se faisant, ces mythes ont contribué à forger l’Amazonie telle que nous la connaissons aujourd’hui tout en niant son essence même : une extrême fragilité et une grande complexité.

L’El dorado dont parlent les légendes…

Arrêtons-nous quelques instants sur le mythe de « l’El dorado » qui illustre bien ce curieux paradoxe. Comme tout mythe, il est une construction complexe de l’esprit imbriquant faits réels et imaginaires, évocations traditionnelles et légendes, dévoilant les aspirations collectives et les besoins métaphysiques de l’Homme. En réalité, les Conquistadors sont témoins d’une cérémonie d’intronisation du Roi des Indiens Chibcha, une communauté vivant en Amazonie colombienne. Durant la cérémonie, le futur monarque est bien recouvert de poudre d’or afin d’incarner le soleil. Tandis que le Roi s’immerge dans un cours d’eau, les membres de la communauté jettent des objets en or, dont plusieurs ont été retrouvés dans le lac Guatavita et sont exposés aujourd’hui au Musée de l’Or de Bogota.

Mais les récits de ce rituel évoquent également dans l’esprit des Européens les fameuses « Cités d’or », ces pagodes aux toits d’or situés en Birmanie dont parlent les récits de Marco Polo. La confusion est rapidement faite, et les expéditions se multiplient pour partir à la recherche d’une civilisation faite d’or, perdue au fin fond de la forêt, rappelant les heures de gloire de la conquête de l’Empire Inca et des monceaux d’or arrachés aux Indiens. Ces derniers eux-mêmes commencent à colporter la rumeur, l’amplifiant, indiquant aux aventuriers des endroits inexplorés afin de réchapper à la conquête, les poussant à se perdre toujours plus loin dans la moiteur de la forêt tropicale. L’avidité et l’ignorance se transforment en fièvre de l’or.

Malgré les faibles quantités trouvées au XVIème siècle et au XVIIIème siècle dans les régions du Mato Grosso, du Goiás et du Maranhão au Brésil, le mythe de l’Eldorado colle à l’Amazonie. Aujourd’hui, les hommes et les Etats continuent d’être convaincus qu’elle contiendrait des gisements inexploités.

Là encore, le mythe s’inspire de la réalité. L’Amazonie a quelque chose de « l’El dorado », elle est le territoire de tous les superlatifs. Couvrant environ 7,3 millions de km2, elle traverse neuf pays (la Bolivie, le Brésil, la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Guyane, la Guyane française, le Surinam et le Venezuela) et renferme en son sein la plus grande réserve d’eau douce et de biodiversité de la planète. 300 espèces de mammifères, 1000 espèces d’oiseaux, 2000 de poissons, 60 000 de plantes supérieures, 2 500 000 d’insectes… Oui, l’Amazonie a tous les apparats de la richesse, et devant tant d’exubérance, c’est en toute confiance que les prospecteurs et industriels ont continué au fil des siècles à tenter leur chance, à fouiller ses sols à la recherche d’or et d’autres métaux précieux, retournant les sols et défigurant la forêt. Mais ce n’est qu’en 1950 que les premières fouilles font état de la présence en grande quantité de cuivre, de nickel, de fer, et bien sûr, d’or : à la fin des années 1970, une nouvelle ruée ébranle l’Amazonie. Près d’un million de petits mineurs, d’orpailleurs aussi nommés garimpeiros, se lancent dans la prospection de la célèbre mine de Serra Pelada dans l’Etat du Para au Brésil.

Sachant qu’il faut déplacer en moyenne un mètre cube de terre pour tenter de trouver 2 grammes d’or, les dégâts sur la forêt et ses sols sont d’une ampleur inimaginable. Le milieu naturel subit une transformation profonde, si ce n’est pas irréversible : arbres déracinés, sols retournés, eau contaminée au mercure, invasion des réserves indiennes, maladies apportées par l’arrivée massive d’une population fluctuante, contrebande, développement de petites villes pionnières… La liste des conséquences est effroyable, pour une production officielle estimée à 50 tonnes par an. La région de Madre de Dios en Amazonie péruvienne est aujourd’hui le nouveau théâtre d’une fièvre de l’or particulièrement destructrice : l’étendue de l’exploitation aurifère illégale y a augmenté de 400 % entre 1999 et 2014, à tel point qu’elle est aujourd’hui la première cause de la destruction de la forêt dans la région devant l’agriculture intensive ou migratoire, l’élevage ou encore l’exploitation forestière.

Quant au fer, l’Amazonie possède hélas la seconde plus grande réserve du monde dans la montagne Serra dos Carajas entre le Tocantins et le Xingu au Brésil. Découverte en 1967, la réserve est estimée à 18 milliards de tonnes de fer à 66% de teneur. La mine de Carajas, mise en exploitation à partir de 1986, est également tristement célèbre pour les destructions inconsidérées des écosystèmes qu’elle a engendré. Avec une veine de 300 m d’épaisseur excavée à ciel ouvert, sa voie ferrée et ses routes pour acheminer le fer, et ses villes pour accueillir ses travailleurs, la mine a largement contribué à détruire la forêt de la région du Minais Gérais et à la polluer, tout en façonnant un nouveau territoire qui reste aujourd’hui l’un des plus grands conglomérats industrialo-miniers du Brésil.

Voilà comment un simple mythe, en figeant dans les esprits l’image d’une Amazonie aux richesses inépuisables, a contribué à initier un cycle de destruction irrémédiable des écosystèmes. Ce mythe n’est certes pas la seule et unique raison, mais c’est aussi parce que la légende de l’El dorado a été accolée à la forêt amazonienne que cette dernière subit les impacts ravageurs d’une exploitation irraisonnée de ces matières premières et minières depuis 500 ans, engendrant un curieux paradoxe dans lequel le mythe « façonne » autant qu’il « détruit » ce territoire.

De la richesse des sous-sols à la fragilité des sols

Or, au-delà du mythe de l’El dorado et de l’idée de caractère inépuisable des ressources qu’il véhicule, cette richesse des sous-sols dissimule une autre réalité, celle d’une forêt aux sols extrêmement fragiles. La richesse des écosystèmes n’a d’égal que leur vulnérabilité. L’Amazonie est une forêt sempervirente, c’est-à-dire une forêt dont les plantes gardent leurs feuilles vertes toute l’année, et un milieu humide. Vivant au rythme des saisons sèches et des saisons des pluies, la forêt crée son propre microclimat : 50 % de l’eau de pluie tombant en Amazonie provient de l’évapotranspiration de la végétation, soit l’eau recyclée par la forêt elle-même, une eau qui est à l’origine de la croissance et de la variété de la flore. Cette flore dépend donc de la quantité d’humidité de l’atmosphère et de la rétro-alimentation de l’humidité, ce qui explique que la diversité de la flore aille de pair avec sa vulnérabilité. La biodiversité forestière dépend également de l’humus recouvrant le sol, et non pas de la richesse des sols en éléments nutritifs : en effet, les sols amazoniens sont chimiquement pauvres et surtout acides. Ils sont en grande majorité déficients en phosphore, en potassium et en azote. A peine 8 % seulement sont fertiles. La réalité, c’est qu’ils sont parmi les plus pauvres de la planète. Il faut donc bien comprendre que, faiblement enracinée, la forêt se régénère dans son propre humus et vit sur elle-même : elle grandit sur le sol et non du sol. L’exubérance de sa flore et de sa faune fait donc oublier que la diversité des écosystèmes n’équivaut pas à leur stabilité, mais bien au contraire, à une fragilité inhérente puisque ces derniers peuvent facilement être déséquilibrés. On comprend dès lors que l’exploitation des sols et des sous-sols, que ce soit pour l’extraction de minéraux, la coupe du bois pour l’élevage et la vente, ou bien pour une agriculture ne prenant pas en compte les spécificités des sols amazoniens, engendre une dégradation parfois irrémédiable des écosystèmes.

La forêt vierge inhabitée, ou le fantasme du Paradis Perdu

Mais tous les mythes n’ont pas, à l’instar de celui de l’El Dorado, un impact aussi néfaste sur l’Amazonie. Certains contribuent même aujourd’hui à la conservation de la forêt en exacerbant les débordements compassionnels de l’opinion publique occidentale, quand bien même ils renvoient une image complètement déformée de l’Amazonie. Le mythe de la « forêt vierge inhabitée », sanctuaire des Indiens, en est un parfait exemple. Il est aujourd’hui une sorte d’image d’Epinal de l’Amazonie, une représentation contemporaine surfaite et dépassée, modelée par une vision proprement occidentale de la « Nature ». Prenant ses racines dans le XIXème siècle romantique européen, cette vision est celle d’une nature fantasmée, parfaite, un Eden sanctuarisé qui n’aurait pas été souillée par la main de l’homme. Elle active le fantasme du « Paradis Perdu » ; et l’Amazonie est ainsi devenue dans l’inconscient collectif le symbole même de la Nature menacée par l’homme. Il suffit de faire une rapide recherche sur internet pour s’en rendre compte : si l’on tape le seul mot « Amazonie », les premières images qui apparaissent sont celles d’une vaste étendue de forêt plate où serpente le fleuve Amazone et abonde une riche faune, ou encore des photos d’une déforestation sauvage et d’Indiens en danger.

Les ONG de lutte contre la déforestation ou de protection des droits des Indiens ont largement exploité cette vision occidentalisée de la nature dans leurs campagnes de sensibilisation du grand public. L’utilisation d’images et de photos d’une Amazonie en nature idéalisée menacée par la déforestation et d’Indiens « bons sauvages » abandonnés à leur sort, a mobilisé bien des fonds pour sa sauvegarde, bien qu’il s’agisse là d’une récupération quelque peu idéologique.

Certes l’Amazonie est bien ce que l’on appelle une « forêt vierge » habitée par diverses communautés indiennes. Mais cette assertion est aujourd’hui réductrice, et c’est dans les nuances, comme toujours, que se niche la réalité. Qu’entend-on par « forêt vierge » ? On peut remplacer ce terme par celui de « forêt primaire », soit une forêt constituée d’arbres centenaires où aucune trace d’activité humaine n’est clairement visible. Les forêts primaires représentent 33% des forêts sur Terre et abritent au moins 75% de la biodiversité mondiale. Elles sont bien en voie de disparition en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud en raison d’un processus complexe de déforestation.

Cependant, les grandes forêts vierges sont aujourd’hui également constituées de forêts « secondaires ». Il s’agit de forêts qui ont repoussé spontanément ou par des plantations du fait de l’homme après une première élimination de la forêt primaire par des causes naturelles ou anthropiques. Les forêts secondaires sont plus denses et les arbres sont de plus petites tailles. Ainsi, les trois quarts des espaces forestiers de notre planète sont aujourd’hui anthropisés, c’est-à-dire modifiés par les hommes. Et l’Amazonie ne fait pas exception.

Bien plus encore, les espaces naturels comme les forêts sont des espaces sociaux. Certes, l’Amazonie est immense et certains endroits, notamment au Brésil, sont toujours inaccessibles pour les hommes qui y sont extérieurs. Mais de nombreux espaces forestiers de l’Amazonie ont été façonnés pendant des siècles par leurs populations autochtones, et ce, bien avant et bien après l’arrivée des Européens. Les diverses pétitions et campagnes d’ONG pour une « sanctuarisation » de l’Amazonie au sein d’une aire naturelle fermée à tout homme n’apportent en rien une réponse concrète au problème de sa disparition. Ces campagnes sont révélatrices de la projection d’un rapport à la Nature proprement occidental sur l’Amazonie. Elles témoignent d’une« patrimonialisation » de la forêt tropicale : cette dernière est hissée au rang d’héritage de l’Humanité, sous-entendant également une appropriation sociale et culturelle de cet espace forestier par les sociétés occidentales.

Or, cette conception de l’Amazonie comme sanctuaire des seuls Indiens est dangereuse en ce qu’elle exclue les populations locales amazoniennes non-indigènes alors même que ces dernières sont porteuses de solutions pour la protection de la forêt. Aujourd’hui, de nombreux pays amazoniens et des ONG de développement tentent de prendre en compte les populations locales et leurs apports bénéfiques aux forêts (sélection d’espèces, actions de conservation…) dans leurs politiques et plans de conservation. Ces populations locales, qui sont bien souvent les grandes absentes des discours des ONG pour la sensibilisation du grand public et qui continuent encore d’être désignées par certains Etats amazoniens comme faisant partie de la liste des responsables de la déforestation, sont en effet les premiers écologistes et des pionniers en matière d’actions pour la préservation de la forêt. Une lente évolution de la représentation de la forêt amazonienne s’opère ainsi dans les esprits : elle n’est plus pensée comme un espace « déshumanisé » et inhabité, mais comme une source de nombreux services économiques, sociaux et culturels fournissant aux communautés natives et aux populations locales les moyens de leur subsistance ainsi que des revenus.

Au-delà de la forêt, une Amazonie des villes et son cortège d’habitants…

Nous oublions aussi bien vite qu’à l’Amazonie des forêts coexiste aujourd’hui une Amazonie des villes. Après des siècles de politiques de colonisation et de mise en valeur, des pans entiers du territoire amazonien se sont intégrés aux tissus nationaux par les voies de communication. Les Amazonies péruvienne et colombienne sont les plus peuplées. Au Pérou, la Selva représente près de 60 % du territoire national. Alors que l’Amazonie constitue toujours une frontière au Brésil, tant elle est éloignée du cœur économique du pays, l’Amazonie péruvienne est une des trois grandes régions du pays. Elle est pratiquement intégrée au territoire national, avec sa culture, ses villes, ses routes, son administration.

De plus, la population de l’Amazonie péruvienne est davantage urbaine que rurale. Bien qu’elle ne représente que 14,31% de la population totale du pays, elle connait une expansion sans précédent, avec une augmentation de 132% entre 1981 et 2007. Au Brésil, la population d’Amazonie est passée de 6 à 25 millions en l’espace de 50 ans. Même si les densités de population restent faibles, force est de constater que l’Amazonie n’est plus ce grand désert humain. L’idée d’une internationalisation de l’Amazonie (soit l’idée de soustraire le territoire aux neuf Etats du bassin pour le placer sous un contrôle de la communauté internationale dans le but affiché de “sauver” l’Amazonie d’une disparition certaine) brandit par bon nombre d’ONG comme le remède miracle au mal de la déforestation, constitue encore une réponse complètement inappropriée. C’est oublier cette multiplicité des réalités, c’est nier le droit de ses populations et des Etats à gérer leurs propres affaires et les multiples efforts faits depuis les années 2000 pour la conservation et un développement durable de l’Amazonie. C’est, enfin, nier l’existence même de ses populations et de leur culture, et les priver du droit de décider de leur futur. Si internationalisation de l’Amazonie il y a, que deviennent les millions d’habitants, indiens, métissés, péruviens, colombiens, brésiliens et autres ? Quelle nationalité et quelle place leur donne-t-on dans cette nouvelle configuration ?

Le Poumon de la Planète : l’Amazonie, un trésor universel

Enfin, un autre mythe contemporain révèle les mêmes mécanismes d’appropriation et d’élévation de l’Amazonie au statut de symbole suprême de la nature : celui du fameux mirage moderne du « Poumon de la Planète ». Phrase choc d’une campagne de sensibilisation de WWF dans les années 2000, cette assertion a été reprise d’articles en articles pour finir par être assénée comme une vérité.

Or, bien que l’intention soit louable, la définition de l’Amazonie comme « poumon de la planète » martelée par certaines ONG comme Greenpeace et WWF ne repose, en tout cas pour le moment, sur aucun fondement scientifique. Oui, les forêts produisent de l’oxygène durant le processus de photosynthèse, et il s’agit très certainement de l’origine de cette confusion : les végétaux verts absorbent du dioxyde de carbone (CO2) et rejettent du dioxygène (O2). Mais les forêts consomment également beaucoup de dioxygène, maintenant un équilibre presque parfait, appelé « climax » par les écologistes, entre production-consommation d’O2 et consommation-production de CO2.

En d’autres termes, la forêt amazonienne absorbe autant d’oxygène qu’elle en rejette, et rejette autant de CO2 qu’elle en absorbe.

Dire que la forêt amazonienne doit être protégée car elle nous fournirait une partie de l’oxygène que nous respirons comme l’explique certaines ONG, est donc un joli raccourci, une simplification qui a été un véritable électrochoc pour le grand public, a activé la culpabilité du monde moderne, et a permis de récolter de nombreux fonds.

En réalité, nous ne connaissons encore que très peu le rôle des forêts dans la question précise du renouvellement de l’oxygène dans l’atmosphère, mais, jusqu’à preuve du contraire, l’Amazonie ne mérite pas le fameux titre de « poumon de la planète » qui revient davantage aux océans, véritables responsables du renouvellement de l’oxygène.

Par contre, l’Amazonie est bien un puits de carbone, en ce que sa biomasse, si elle venait à se décomposer intégralement, contiendrait approximativement 100 milliards de tonnes de carbone. Les incendies à répétition de la forêt amazonienne ont ainsi un impact extrêmement néfaste sur le climat : pour chaque hectare qui part en fumée, c’est entre 150 et 190 tonnes de CO2 qui sont libérés dans l’atmosphère. La déforestation, en plus de permettre un relâchement dans l’atmosphère de gaz carbonique par la combustion ou la décomposition des arbres, provoque aussi une érosion des sols, une raréfaction de l’eau, une augmentation des sécheresses extrêmes et, in fine, un assèchement du climat certain au niveau local.

Une analyse de la revue scientifique Nature publiée en 2012 démontre ainsi le lien entre déforestation et accroissement des épisodes de sécheresse extrême, après des épisodes semblables dans les bassins du Tocantins et de l’Araguaia au Brésil. L’Amazonie, en voie de disparition, pourrait bien devenir un « contributeur net de CO2 » dans les années à venir.

Une fois encore, ce n’est pas tant dans la production d’oxygène ou la fixation de carbone que réside la véritable richesse de l’Amazonie, mais dans ce trésor de biodiversité et les divers peuples et cultures qu’elle renferme. Au-delà des mythes façonnés et qui tendent à la figer en une projection de nos fantasmes, c’est cette complexité, cette multiplicité des réalités et cette diversité sociale, politique et économique qu’il nous reste à comprendre si nous voulons, de façon efficace, faire face aux enjeux de sa conservation. Au-delà du mythe d’un El dorado, l’Amazonie est une forêt extrêmement fragile. Au-delà du mythe d’une forêt vierge inhabitée, c’est une Amazonie qui permet à de nombreuses populations métissées de vivre. Ces populations respectent la forêt et l’exploitent aussi de façon raisonnée, n’en déplaise à certains discours réducteurs d’écologistes et d’hommes politiques. Au-delà du mythe du Poumon de la Planète, c’est une forêt qui nous est précieuse, et encore plus fascinante et mystérieuse que le content les légendes, qu’il nous reste à découvrir.

Brandie bien malgré elle comme un symbole de virginité et d’abondance, l’Amazonie a même été affublée de la lourde responsabilité de “poumon de la planète”. A l’approche du grand sommet sur le climat, la COP 21, une petite mise au point s’impose sur la plus grande forêt tropicale du monde. Découvrez cet article publié sur le site du Troisième Baobab.

1541 : la découverte de l’Amazonie

Une expédition espagnole ordonnée par les frères Pizarro descend le cours d’un grand fleuve depuis la Cordillère des Andes au Pérou jusqu’à l’océan Atlantique à la recherche d’une épice aussi précieuse que l’or : la cannelle. Menés par Francisco de Orellana, les Conquistadors ne trouvent pas de cannelle mais découvrent une forêt gigantesque, peuplée de créatures inconnues, de plantes exotiques et d’êtres qui sont très vite associés aux guerrières Amazones, filles d’Arès et de la nymphe Harmonie dont parlent les poèmes d’Homère. Les Conquistadors situent là ce royaume mythique dont le monde occidental rêve depuis l’Antiquité, dans cet espace amphibie où l’exubérance végétale et animale fascine autant qu’elle inquiète. Bien plus encore, le récit de l’expédition rédigé par Gaspar de Carvajal décrit un rituel des plus étranges durant lequel un Roi Indien se baignerait dans le lac Parimé pour en ressortir couvert d’or… La légende de l’El Dorado prend forme. Par la suite, cette forêt aux contours incertains est baptisée du nom du mythe qu’elle évoque.

Ainsi est découverte la plus grande forêt tropicale du monde. Aux yeux de l’Europe, l’Amazonie « naît » mythique. La densité de la végétation, ainsi que les conditions climatiques, empêche cependant son intégration aux territoires colonisés des Empires européens qui se mettent en place sur le continent aux XVIème et XVIIème siècle, puis aux Etats indépendants par la suite. Pendant les quatre siècles qui suivent sa découverte, l’Amazonie reste ce « non-être géographique », ce blanc de la carte marginalisé, alors qu’elle est au cœur du continent. Mais combien d’expéditions de missionnaires, de commerçants, de soldats, tentent de percer ses secrets, alimentant les fantasmes et consolidant les mythes émergents ? La forêt est une promesse de richesses inépuisables et de glorieuses conquêtes. Et les histoires rapportées par ces explorateurs fécondent l’imaginaire des Européens, finissant par façonner une Amazonie tantôt « Paradis Perdu », tantôt « Enfer Vert ».

Certes, la forêt amazonienne a toujours suscité de nombreux mythes, des cosmologies indiennes aux légendes du monde occidental, du mythe de la forêt vierge inhabitée au fameux mirage moderne du « poumon de la planète ». Autant de fantasmes qui, en figeant l’image de la forêt dans les esprits, attisent les convoitises et cristallisent les enjeux autour de son avenir. Et, paradoxalement, en se faisant, ces mythes ont contribué à forger l’Amazonie telle que nous la connaissons aujourd’hui tout en niant son essence même : une extrême fragilité et une grande complexité.

L’El dorado dont parlent les légendes…

Arrêtons-nous quelques instants sur le mythe de « l’El dorado » qui illustre bien ce curieux paradoxe. Comme tout mythe, il est une construction complexe de l’esprit imbriquant faits réels et imaginaires, évocations traditionnelles et légendes, dévoilant les aspirations collectives et les besoins métaphysiques de l’Homme. En réalité, les Conquistadors sont témoins d’une cérémonie d’intronisation du Roi des Indiens Chibcha, une communauté vivant en Amazonie colombienne. Durant la cérémonie, le futur monarque est bien recouvert de poudre d’or afin d’incarner le soleil. Tandis que le Roi s’immerge dans un cours d’eau, les membres de la communauté jettent des objets en or, dont plusieurs ont été retrouvés dans le lac Guatavita et sont exposés aujourd’hui au Musée de l’Or de Bogota.

Mais les récits de ce rituel évoquent également dans l’esprit des Européens les fameuses « Cités d’or », ces pagodes aux toits d’or situés en Birmanie dont parlent les récits de Marco Polo. La confusion est rapidement faite, et les expéditions se multiplient pour partir à la recherche d’une civilisation faite d’or, perdue au fin fond de la forêt, rappelant les heures de gloire de la conquête de l’Empire Inca et des monceaux d’or arrachés aux Indiens. Ces derniers eux-mêmes commencent à colporter la rumeur, l’amplifiant, indiquant aux aventuriers des endroits inexplorés afin de réchapper à la conquête, les poussant à se perdre toujours plus loin dans la moiteur de la forêt tropicale. L’avidité et l’ignorance se transforment en fièvre de l’or.

Malgré les faibles quantités trouvées au XVIème siècle et au XVIIIème siècle dans les régions du Mato Grosso, du Goiás et du Maranhão au Brésil, le mythe de l’Eldorado colle à l’Amazonie. Aujourd’hui, les hommes et les Etats continuent d’être convaincus qu’elle contiendrait des gisements inexploités.

Là encore, le mythe s’inspire de la réalité. L’Amazonie a quelque chose de « l’El dorado », elle est le territoire de tous les superlatifs. Couvrant environ 7,3 millions de km2, elle traverse neuf pays (la Bolivie, le Brésil, la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Guyane, la Guyane française, le Surinam et le Venezuela) et renferme en son sein la plus grande réserve d’eau douce et de biodiversité de la planète. 300 espèces de mammifères, 1000 espèces d’oiseaux, 2000 de poissons, 60 000 de plantes supérieures, 2 500 000 d’insectes… Oui, l’Amazonie a tous les apparats de la richesse, et devant tant d’exubérance, c’est en toute confiance que les prospecteurs et industriels ont continué au fil des siècles à tenter leur chance, à fouiller ses sols à la recherche d’or et d’autres métaux précieux, retournant les sols et défigurant la forêt. Mais ce n’est qu’en 1950 que les premières fouilles font état de la présence en grande quantité de cuivre, de nickel, de fer, et bien sûr, d’or : à la fin des années 1970, une nouvelle ruée ébranle l’Amazonie. Près d’un million de petits mineurs, d’orpailleurs aussi nommés garimpeiros, se lancent dans la prospection de la célèbre mine de Serra Pelada dans l’Etat du Para au Brésil.

Sachant qu’il faut déplacer en moyenne un mètre cube de terre pour tenter de trouver 2 grammes d’or, les dégâts sur la forêt et ses sols sont d’une ampleur inimaginable. Le milieu naturel subit une transformation profonde, si ce n’est pas irréversible : arbres déracinés, sols retournés, eau contaminée au mercure, invasion des réserves indiennes, maladies apportées par l’arrivée massive d’une population fluctuante, contrebande, développement de petites villes pionnières… La liste des conséquences est effroyable, pour une production officielle estimée à 50 tonnes par an. La région de Madre de Dios en Amazonie péruvienne est aujourd’hui le nouveau théâtre d’une fièvre de l’or particulièrement destructrice : l’étendue de l’exploitation aurifère illégale y a augmenté de 400 % entre 1999 et 2014, à tel point qu’elle est aujourd’hui la première cause de la destruction de la forêt dans la région devant l’agriculture intensive ou migratoire, l’élevage ou encore l’exploitation forestière.

Quant au fer, l’Amazonie possède hélas la seconde plus grande réserve du monde dans la montagne Serra dos Carajas entre le Tocantins et le Xingu au Brésil. Découverte en 1967, la réserve est estimée à 18 milliards de tonnes de fer à 66% de teneur. La mine de Carajas, mise en exploitation à partir de 1986, est également tristement célèbre pour les destructions inconsidérées des écosystèmes qu’elle a engendré. Avec une veine de 300 m d’épaisseur excavée à ciel ouvert, sa voie ferrée et ses routes pour acheminer le fer, et ses villes pour accueillir ses travailleurs, la mine a largement contribué à détruire la forêt de la région du Minais Gérais et à la polluer, tout en façonnant un nouveau territoire qui reste aujourd’hui l’un des plus grands conglomérats industrialo-miniers du Brésil.

Voilà comment un simple mythe, en figeant dans les esprits l’image d’une Amazonie aux richesses inépuisables, a contribué à initier un cycle de destruction irrémédiable des écosystèmes. Ce mythe n’est certes pas la seule et unique raison, mais c’est aussi parce que la légende de l’El dorado a été accolée à la forêt amazonienne que cette dernière subit les impacts ravageurs d’une exploitation irraisonnée de ces matières premières et minières depuis 500 ans, engendrant un curieux paradoxe dans lequel le mythe « façonne » autant qu’il « détruit » ce territoire.

De la richesse des sous-sols à la fragilité des sols

Or, au-delà du mythe de l’El dorado et de l’idée de caractère inépuisable des ressources qu’il véhicule, cette richesse des sous-sols dissimule une autre réalité, celle d’une forêt aux sols extrêmement fragiles. La richesse des écosystèmes n’a d’égal que leur vulnérabilité. L’Amazonie est une forêt sempervirente, c’est-à-dire une forêt dont les plantes gardent leurs feuilles vertes toute l’année, et un milieu humide. Vivant au rythme des saisons sèches et des saisons des pluies, la forêt crée son propre microclimat : 50 % de l’eau de pluie tombant en Amazonie provient de l’évapotranspiration de la végétation, soit l’eau recyclée par la forêt elle-même, une eau qui est à l’origine de la croissance et de la variété de la flore. Cette flore dépend donc de la quantité d’humidité de l’atmosphère et de la rétro-alimentation de l’humidité, ce qui explique que la diversité de la flore aille de pair avec sa vulnérabilité. La biodiversité forestière dépend également de l’humus recouvrant le sol, et non pas de la richesse des sols en éléments nutritifs : en effet, les sols amazoniens sont chimiquement pauvres et surtout acides. Ils sont en grande majorité déficients en phosphore, en potassium et en azote. A peine 8 % seulement sont fertiles. La réalité, c’est qu’ils sont parmi les plus pauvres de la planète. Il faut donc bien comprendre que, faiblement enracinée, la forêt se régénère dans son propre humus et vit sur elle-même : elle grandit sur le sol et non du sol. L’exubérance de sa flore et de sa faune fait donc oublier que la diversité des écosystèmes n’équivaut pas à leur stabilité, mais bien au contraire, à une fragilité inhérente puisque ces derniers peuvent facilement être déséquilibrés. On comprend dès lors que l’exploitation des sols et des sous-sols, que ce soit pour l’extraction de minéraux, la coupe du bois pour l’élevage et la vente, ou bien pour une agriculture ne prenant pas en compte les spécificités des sols amazoniens, engendre une dégradation parfois irrémédiable des écosystèmes.

La forêt vierge inhabitée, ou le fantasme du Paradis Perdu

Mais tous les mythes n’ont pas, à l’instar de celui de l’El Dorado, un impact aussi néfaste sur l’Amazonie. Certains contribuent même aujourd’hui à la conservation de la forêt en exacerbant les débordements compassionnels de l’opinion publique occidentale, quand bien même ils renvoient une image complètement déformée de l’Amazonie. Le mythe de la « forêt vierge inhabitée », sanctuaire des Indiens, en est un parfait exemple. Il est aujourd’hui une sorte d’image d’Epinal de l’Amazonie, une représentation contemporaine surfaite et dépassée, modelée par une vision proprement occidentale de la « Nature ». Prenant ses racines dans le XIXème siècle romantique européen, cette vision est celle d’une nature fantasmée, parfaite, un Eden sanctuarisé qui n’aurait pas été souillée par la main de l’homme. Elle active le fantasme du « Paradis Perdu » ; et l’Amazonie est ainsi devenue dans l’inconscient collectif le symbole même de la Nature menacée par l’homme. Il suffit de faire une rapide recherche sur internet pour s’en rendre compte : si l’on tape le seul mot « Amazonie », les premières images qui apparaissent sont celles d’une vaste étendue de forêt plate où serpente le fleuve Amazone et abonde une riche faune, ou encore des photos d’une déforestation sauvage et d’Indiens en danger.

Les ONG de lutte contre la déforestation ou de protection des droits des Indiens ont largement exploité cette vision occidentalisée de la nature dans leurs campagnes de sensibilisation du grand public. L’utilisation d’images et de photos d’une Amazonie en nature idéalisée menacée par la déforestation et d’Indiens « bons sauvages » abandonnés à leur sort, a mobilisé bien des fonds pour sa sauvegarde, bien qu’il s’agisse là d’une récupération quelque peu idéologique.

Certes l’Amazonie est bien ce que l’on appelle une « forêt vierge » habitée par diverses communautés indiennes. Mais cette assertion est aujourd’hui réductrice, et c’est dans les nuances, comme toujours, que se niche la réalité. Qu’entend-on par « forêt vierge » ? On peut remplacer ce terme par celui de « forêt primaire », soit une forêt constituée d’arbres centenaires où aucune trace d’activité humaine n’est clairement visible. Les forêts primaires représentent 33% des forêts sur Terre et abritent au moins 75% de la biodiversité mondiale. Elles sont bien en voie de disparition en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud en raison d’un processus complexe de déforestation.

Cependant, les grandes forêts vierges sont aujourd’hui également constituées de forêts « secondaires ». Il s’agit de forêts qui ont repoussé spontanément ou par des plantations du fait de l’homme après une première élimination de la forêt primaire par des causes naturelles ou anthropiques. Les forêts secondaires sont plus denses et les arbres sont de plus petites tailles. Ainsi, les trois quarts des espaces forestiers de notre planète sont aujourd’hui anthropisés, c’est-à-dire modifiés par les hommes. Et l’Amazonie ne fait pas exception.

Bien plus encore, les espaces naturels comme les forêts sont des espaces sociaux. Certes, l’Amazonie est immense et certains endroits, notamment au Brésil, sont toujours inaccessibles pour les hommes qui y sont extérieurs. Mais de nombreux espaces forestiers de l’Amazonie ont été façonnés pendant des siècles par leurs populations autochtones, et ce, bien avant et bien après l’arrivée des Européens. Les diverses pétitions et campagnes d’ONG pour une « sanctuarisation » de l’Amazonie au sein d’une aire naturelle fermée à tout homme n’apportent en rien une réponse concrète au problème de sa disparition. Ces campagnes sont révélatrices de la projection d’un rapport à la Nature proprement occidental sur l’Amazonie. Elles témoignent d’une« patrimonialisation » de la forêt tropicale : cette dernière est hissée au rang d’héritage de l’Humanité, sous-entendant également une appropriation sociale et culturelle de cet espace forestier par les sociétés occidentales.

Or, cette conception de l’Amazonie comme sanctuaire des seuls Indiens est dangereuse en ce qu’elle exclue les populations locales amazoniennes non-indigènes alors même que ces dernières sont porteuses de solutions pour la protection de la forêt. Aujourd’hui, de nombreux pays amazoniens et des ONG de développement tentent de prendre en compte les populations locales et leurs apports bénéfiques aux forêts (sélection d’espèces, actions de conservation…) dans leurs politiques et plans de conservation. Ces populations locales, qui sont bien souvent les grandes absentes des discours des ONG pour la sensibilisation du grand public et qui continuent encore d’être désignées par certains Etats amazoniens comme faisant partie de la liste des responsables de la déforestation, sont en effet les premiers écologistes et des pionniers en matière d’actions pour la préservation de la forêt. Une lente évolution de la représentation de la forêt amazonienne s’opère ainsi dans les esprits : elle n’est plus pensée comme un espace « déshumanisé » et inhabité, mais comme une source de nombreux services économiques, sociaux et culturels fournissant aux communautés natives et aux populations locales les moyens de leur subsistance ainsi que des revenus.

Au-delà de la forêt, une Amazonie des villes et son cortège d’habitants…

Nous oublions aussi bien vite qu’à l’Amazonie des forêts coexiste aujourd’hui une Amazonie des villes. Après des siècles de politiques de colonisation et de mise en valeur, des pans entiers du territoire amazonien se sont intégrés aux tissus nationaux par les voies de communication. Les Amazonies péruvienne et colombienne sont les plus peuplées. Au Pérou, la Selva représente près de 60 % du territoire national. Alors que l’Amazonie constitue toujours une frontière au Brésil, tant elle est éloignée du cœur économique du pays, l’Amazonie péruvienne est une des trois grandes régions du pays. Elle est pratiquement intégrée au territoire national, avec sa culture, ses villes, ses routes, son administration.

De plus, la population de l’Amazonie péruvienne est davantage urbaine que rurale. Bien qu’elle ne représente que 14,31% de la population totale du pays, elle connait une expansion sans précédent, avec une augmentation de 132% entre 1981 et 2007. Au Brésil, la population d’Amazonie est passée de 6 à 25 millions en l’espace de 50 ans. Même si les densités de population restent faibles, force est de constater que l’Amazonie n’est plus ce grand désert humain. L’idée d’une internationalisation de l’Amazonie (soit l’idée de soustraire le territoire aux neuf Etats du bassin pour le placer sous un contrôle de la communauté internationale dans le but affiché de “sauver” l’Amazonie d’une disparition certaine) brandit par bon nombre d’ONG comme le remède miracle au mal de la déforestation, constitue encore une réponse complètement inappropriée. C’est oublier cette multiplicité des réalités, c’est nier le droit de ses populations et des Etats à gérer leurs propres affaires et les multiples efforts faits depuis les années 2000 pour la conservation et un développement durable de l’Amazonie. C’est, enfin, nier l’existence même de ses populations et de leur culture, et les priver du droit de décider de leur futur. Si internationalisation de l’Amazonie il y a, que deviennent les millions d’habitants, indiens, métissés, péruviens, colombiens, brésiliens et autres ? Quelle nationalité et quelle place leur donne-t-on dans cette nouvelle configuration ?

Le Poumon de la Planète : l’Amazonie, un trésor universel

Enfin, un autre mythe contemporain révèle les mêmes mécanismes d’appropriation et d’élévation de l’Amazonie au statut de symbole suprême de la nature : celui du fameux mirage moderne du « Poumon de la Planète ». Phrase choc d’une campagne de sensibilisation de WWF dans les années 2000, cette assertion a été reprise d’articles en articles pour finir par être assénée comme une vérité.

Or, bien que l’intention soit louable, la définition de l’Amazonie comme « poumon de la planète » martelée par certaines ONG comme Greenpeace et WWF ne repose, en tout cas pour le moment, sur aucun fondement scientifique. Oui, les forêts produisent de l’oxygène durant le processus de photosynthèse, et il s’agit très certainement de l’origine de cette confusion : les végétaux verts absorbent du dioxyde de carbone (CO2) et rejettent du dioxygène (O2). Mais les forêts consomment également beaucoup de dioxygène, maintenant un équilibre presque parfait, appelé « climax » par les écologistes, entre production-consommation d’O2 et consommation-production de CO2.

En d’autres termes, la forêt amazonienne absorbe autant d’oxygène qu’elle en rejette, et rejette autant de CO2 qu’elle en absorbe.

Dire que la forêt amazonienne doit être protégée car elle nous fournirait une partie de l’oxygène que nous respirons comme l’explique certaines ONG, est donc un joli raccourci, une simplification qui a été un véritable électrochoc pour le grand public, a activé la culpabilité du monde moderne, et a permis de récolter de nombreux fonds.

En réalité, nous ne connaissons encore que très peu le rôle des forêts dans la question précise du renouvellement de l’oxygène dans l’atmosphère, mais, jusqu’à preuve du contraire, l’Amazonie ne mérite pas le fameux titre de « poumon de la planète » qui revient davantage aux océans, véritables responsables du renouvellement de l’oxygène.

Par contre, l’Amazonie est bien un puits de carbone, en ce que sa biomasse, si elle venait à se décomposer intégralement, contiendrait approximativement 100 milliards de tonnes de carbone. Les incendies à répétition de la forêt amazonienne ont ainsi un impact extrêmement néfaste sur le climat : pour chaque hectare qui part en fumée, c’est entre 150 et 190 tonnes de CO2 qui sont libérés dans l’atmosphère. La déforestation, en plus de permettre un relâchement dans l’atmosphère de gaz carbonique par la combustion ou la décomposition des arbres, provoque aussi une érosion des sols, une raréfaction de l’eau, une augmentation des sécheresses extrêmes et, in fine, un assèchement du climat certain au niveau local.

Une analyse de la revue scientifique Nature publiée en 2012 démontre ainsi le lien entre déforestation et accroissement des épisodes de sécheresse extrême, après des épisodes semblables dans les bassins du Tocantins et de l’Araguaia au Brésil. L’Amazonie, en voie de disparition, pourrait bien devenir un « contributeur net de CO2 » dans les années à venir.

Une fois encore, ce n’est pas tant dans la production d’oxygène ou la fixation de carbone que réside la véritable richesse de l’Amazonie, mais dans ce trésor de biodiversité et les divers peuples et cultures qu’elle renferme. Au-delà des mythes façonnés et qui tendent à la figer en une projection de nos fantasmes, c’est cette complexité, cette multiplicité des réalités et cette diversité sociale, politique et économique qu’il nous reste à comprendre si nous voulons, de façon efficace, faire face aux enjeux de sa conservation. Au-delà du mythe d’un El dorado, l’Amazonie est une forêt extrêmement fragile. Au-delà du mythe d’une forêt vierge inhabitée, c’est une Amazonie qui permet à de nombreuses populations métissées de vivre. Ces populations respectent la forêt et l’exploitent aussi de façon raisonnée, n’en déplaise à certains discours réducteurs d’écologistes et d’hommes politiques. Au-delà du mythe du Poumon de la Planète, c’est une forêt qui nous est précieuse, et encore plus fascinante et mystérieuse que le content les légendes, qu’il nous reste à découvrir.

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